Panorama
J’ai grandi dans un appartement au dernier étage d’un immeuble avec une terrasse donnant sur le Bois de Boulogne. Quand des invités faisaient remarquer la beauté de notre vue, je regardais avec eux et j’étais aussi impressionné par la quantité de choses que je pouvais embrasser du regard. Un grand nombre d’arbres plantés les uns à côté des autres avec leurs feuilles qui se mélangent en haut, mon regard glissait dessus jusqu’à ce qu’il rencontre un manège du jardin d’acclimatation dont il suivait les wagons, s’en rapprochant et s’en éloignant au rythme des bras qui se lèvent et se baissent. Après un ou deux tours de manège, mon regard se perdait dans le ciel et se fixait ou flottait en suivant le mouvement des nuages.
Quand je vais dans une grande ville, je vais au sommet du plus haut immeuble auquel je peux avoir accès, de préférence pendant la nuit, pour profiter du panorama. J’ai l’impression de toujours voir la même chose même si je sais que ces villes ne se ressemblent pas. Si j’avais pris des photos de ces panoramas et que je les avais mises les unes à côté des autres, je serais obligé de reconnaître qu’ils n’ont aucun rapport. La nuit, on ne voit presque que des lumières mais leurs couleurs et leur répartition sont différentes et les phares de voitures forment des rivières plus ou moins larges, plus ou moins fluides. Ces lumières ne se fixent pas dans ma mémoire parce que mon regard ne peut pas se fixer dessus, toujours appelé par une lumière à côté. S’il pouvait s’y fixer, il ne verrait rien non plus parce qu’il serait aveuglé. J’étais ébloui par toutes les lumières et secoué par le vent qui m’entourait.
Récemment, j’ai habité pendant six mois dans un appartement dans la chambre duquel, en m’allongeant sur le lit et en tournant la tête, je pouvais voir trois branches ondulant avec leurs feuilles par la fenêtre. Je les regardais souvent mais je n’ai jamais eu l’impression de voir deux fois les mêmes branches. Si en allant chez quelqu’un j’apercevais les mêmes branches par sa fenêtre, je ne sais pas si je serais choqué outre mesure.
Mathias
