juste le texte
Suggestions Archives

Les gratte-ciels

7 décembre 2013

Avant j’aimais les tours. Je passais beaucoup de temps à les regarder et pendant que mon regard se déplaçait de bas en haut, j’oubliais l’agitation quotidienne. Depuis, j’y ai fait un stage et j’ai compris que malgré leurs murs transparents, ce sont des forteresses où il est si difficile de se faire une place qu’on ne peut pas se résoudre à en sortir. Moi-même je me suis donné beaucoup de mal pour y entrer et j’y serais resté si j’en avais été capable. Pendant que j’y étais, je ne savais pas ce qu’on y faisait aux autres étages et je ne savais même pas ce qu’y faisaient mes voisins. J’avais espéré trouver un endroit où les hommes travaillent ensemble et avancent dans la même direction mais je me suis trompé, et si je me sens seul dans ma propre famille, il y a peu de chance que ce soit différent là-haut. J’ai le sentiment que la solitude a plutôt tendance à augmenter avec l’altitude. Cela me rappelle une histoire.

Cela s’est passé dans une ville qui commençait à décliner. Après une période d’expansion, le commerce avait ralenti et les hommes étaient devenus méfiants. Un jour, un entrepreneur vint voir le maire et lui présenta un projet qui devait permettre de faire repartir l’activité économique et de redonner confiance aux habitants. Il s’agissait de la construction de la plus haute tour qu’on eut jamais vu. Grâce au chantier, de nombreux emplois seraient créés et la population pourrait se rassembler autour d’un projet commun qui serait le symbole de leur modernité. Pour illustrer ses propos, il déplia plusieurs plans sur le bureau du maire et expliqua avec l’aide de schémas, les techniques envisagées pour la construction. Il avait fait concevoir ces plans par un jeune architecte prometteur, un des nombreux talents de la ville qui n’attendaient que cette occasion pour montrer de quoi ils étaient capables. Bien qu’il fut séduit par l’énergie de l’entrepreneur et par le contenu du projet, le maire refusa à cause des coûts atrocement élevés du chantier, certaines administrations étant déjà au bord de l’asphyxie et les contribuables, opprimés par l’impôt.
Le soir, en allant se coucher, le maire repensa à la tour et à l’entrepreneur. Quels beaux plans il avait ! Il n’avait jamais rien vu de tel. Nul doute qu’avec son enthousiasme, celui-ci arriverait à convaincre les plus récalcitrants. Plus il y réfléchissait, plus l’idée lui paraissait bonne. Pour la première fois depuis longtemps le maire s’endormit sans penser aux habitants qui venaient le voir chaque jour pour lui réclamer l’ouverture d’une nouvelle crèche. Il ne pensa pas à la fuite d’eau qui persistait depuis plusieurs jours dans son bureau malgré la venue d’un plombier et il ne pensa pas non plus à sa fille qui avait l’air un peu triste depuis quelques temps. Et surtout, il ne vit pas le visage effrayant de ce représentant d’une association de parents d’élèves qui le poursuivait jusque dans ses cauchemars. Maire, ce n’est pas un métier facile se disait-il parfois. Pourquoi dois-je sans cesse répéter à ces pauvres gens que je m’occupe de leurs problèmes alors que je ne peux pas faire grand chose pour eux ? Comment pourrais-je faire autrement ? Après tout, je ne suis pas un monstre. Et où cet homme a-t-il bien pu trouver une femme qui accepte de lui faire un enfant ? Il faut pourtant bien être parent pour faire partie d’une association de parents d’élèves. Le monde est plein de mystères.

Cette nuit là, le maire ne vit personne, il n’y avait que des drapeaux qui flottaient dans le ciel, suspendus en haut d’une tour.

À son réveil, sa décision était prise et quelques jours plus tard, il prononça un discours sur la grande place où il présenta le projet de la tour aux habitants. À quelques exceptions près, l’engouement fut général. La tour était sur toutes les bouches et tout le monde voulait y participer. Après une période préparatoire, les travaux commencèrent dans la bonne humeur générale. Des touristes venaient de loin pour observer le chantier ainsi que de nombreux travailleurs à la recherche d’un emploi. Tout le monde travaillait dur et le soir venu, on organisait des diners partout en ville. Les jeunes allaient danser et tout le monde s’endormait paisiblement. Cela dura jusqu’à ce que la tour atteigne une certaine hauteur. Avec l’altitude, les accidents se multipliaient mais ce n’était pas ce qu’il y avait de plus inquiétant : de nombreux ouvriers s’étaient déjà tués ou blessés depuis le début des travaux mais la reconnaissance qu’on leur avait témoignée, à eux et à leur famille, les aidait à supporter la perte d’un de leurs membres. Quelque chose d’autre était en train de miner le moral des habitants. La tour grandissait et de plus en plus d’ouvriers étaient pris de vertiges, suffoquaient à cause du manque d’oxygène tandis que d’autres entendaient des voix les appeler au-dessus des nuages. Pendant qu’au sommet les travailleurs redoublaient d’effort, en oubliant même de redescendre la nuit tombée, en bas, les maisons se remplissaient de malades honteux, incapables d’aller travailler sur la tour, qui ne sortaient plus de leur lit. De la terre ferme, le sommet semblait de plus en plus petit, on finissait par ne plus le distinguer et il devint évident que même si tout le monde avait été capable de s’y rendre, on n’y aurait pas tous tenus. Partout dans la ville, des voix s’élevaient, demandant qu’on interdise aux uns ou aux autres de monter sur la tour, et ceux qu’on avait accueillis les bras ouverts un peu plus tôt étaient devenus des étrangers. Une nuit, pendant que tout le monde dormait, le maire réunit discrètement ses proches et les travailleurs les plus robustes et ils se lancèrent à l’assaut de la tour sans prévenir personne. L’un d’entre eux était porté sur une civière, c’était le fils d’un ami du maire qui était trop faible pour escalader les marches. Le lendemain, les habitants se rendirent compte de leur absence et réalisèrent qu’ils avaient été trompés. Fous de rage, on mit le feu à la tour. Personne ne sait ce qui arriva à ceux qui étaient montés mais on fit beaucoup d’hypothèses à ce sujet. Personnellement je ne pense pas qu’ils aient trouvé grand chose et peu m’importe de savoir s’ils sont morts asphyxiés ou brûlés. Un roman qui racontait leur histoire remporta un grand succès. L’écrivain imaginait qu’ils avaient trouvé une île où vivaient des êtres bleus avec une boule jaune sur la tête et d’autres boules jaunes en guise de mains et de pieds. Ils étaient doux et sensibles. Les hommes leur racontaient la vie en bas et en échange, on leur apprenait comment se déplacer de nuage en nuage. Ce bouquin était très à la mode et je me souviens qu’à Halloween, je me réjouissais de voir tous ces gens habillés en bleu, marcher dans les rues avec leurs boules jaunes qui brillaient dans le noir.

Mathias

escabeau

unhommenu@unhommenu.fr
Les commentaires
  1. 21 juin 2017
    luke

    beau texte, moi j’aurais direct sauté de la tour pour échapper à toute cette bétise, kiss

  2. 18 décembre 2013
    me luv u long time

    je dis youpi je dis bravo je dis KEEP GOING !•

  3. 15 décembre 2013
    Ava

    Écris un commentaire ici.
    J’ai beaucoup aimé ton texte : continue!
    my bro
    go go
    for it
    banana split

  4. 12 décembre 2013
    Haddock

    putain de blog, ca va faire du boucan

  5. 12 décembre 2013
    ton coiffeur

    je te coiffe les cheveux toutes les semaines. Je ne savais pas que tu écrivais (aussi)

  6. 12 décembre 2013
    grosbisous

    un site de ouf

6 commentaires