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L’anniversaire

5 mai 2014

Il y a un an, j’ai fait ce rêve. C’était le soir et je buvais un verre avec mon banquier au Palais des Congrès. Avant de nous quitter, il m’offre deux peluches de personnages du livre que je préférais quand j’étais petit. Cela devrait me faire plaisir mais je les trouve moches et je me demande ce que je vais en faire. Nous nous disons au revoir en descendant des escalators et je retrouve ma petite sœur qui m’attend dans l’entrée. Elle me sourit et m’offre les mêmes peluches en beaucoup plus grandes. Je la suis à l’extérieur et nous traversons la Porte Maillot en passant entre les voitures qui sont à l’arrêt dans les embouteillages. Nous longeons le Bois et nous arrivons à l’immeuble où vivent mes parents. Nous prenons l’ascenseur mais il s’arrête un étage en-dessous de chez eux. La porte d’un appartement s’ouvre et je vois tous mes amis qui m’attendent et une table qui est mise pour mon anniversaire. Je vais les saluer un par un, ils me sourient et rigolent avec moi. Je vais à la place qu’on m’a réservée autour de la table et je dis quelques mots pour les remercier puis je cours vers la porte d’entrée, je sors et je monte chez mes parents. Je regarde dans le salon et je ne vois personne. Je vais dans ma chambre d’enfant et je trouve un garçon de mon âge assis à mon bureau. Je ne le connais pas mais il m’a l’air sympathique et j’aime bien sa manière de s’habiller. Il me salue comme si nous nous connaissions depuis longtemps et me dit qu’un cadeau m’attend dans l’armoire. Je l’ouvre et je cherche parmi des vestes et des pantalons noirs jusqu’à ce que je trouve une chemise blanche avec des notes de musique colorées. Je la trouve très belle. Je le remercie et je m’assois en face de lui. Je cherche quelque chose à lui dire mais je ne trouve pas. Je me sens fatigué et j’ai très envie d’aller me coucher mais j’ai l’impression qu’il attend quelque chose et je ne veux pas le vexer en lui demandant de partir tout de suite. Nous restons assis l’un en face de l’autre sans rien dire pendant un moment. Son sourire commence à se crisper et il s’agite sur sa chaise. J’ai l’impression qu’il se demande ce que j’attends pour le laisser partir et je commence à me poser la même question. Moi-même je n’arrive plus à me tenir droit sur ma chaise et je me sens épuisé. N’y tenant plus, je me jette sur mon lit tout en lui disant au revoir sans le regarder, je m’allonge et je ferme les yeux. Je me roule dans ma couette, je m’enfonce dans le matelas jusqu’à ce que je me sente bien et je ne bouge plus. J’ai perdu toute notion du temps quand j’entends quelqu’un qui frappe à la porte. J’enfonce la tête dans mon coussin, bien décidé à attendre qu’il s’en aille, mais la porte finit par s’ouvrir. Je lève la tête et je vois mon père qui se tient debout à côté de moi en tenue de course à pied. Il me dit qu’il serait temps de me lever si je veux aller courir avec lui. Il me sourit et j’ai l’impression qu’il se moque de moi. Je me mets en colère et je lui crie de me laisser tranquille et d’arrêter de me casser les couilles. Les traits de son visage s’affaissent, il se met à regarder à gauche, à droite comme s’il était perdu. Il se retire d’un pas hésitant et je me retourne dans mon lit. J’essaie de m’endormir mais je revois son visage et je suis saisi par un sentiment de culpabilité et d’amour pour lui, je me lève et je cours pour le rattraper. Je le trouve dans le salon en train d’enfiler un sac poubelle par-dessus sa tenue de course à pied en grognant, ma mère se tient à côté de lui en robe de chambre. Je lui demande si je peux toujours aller courir avec lui mais il ne se rend pas compte que je suis là. Ma mère se tourne vers moi et me dit à voix basse : « Il ne peut plus courir à cause de son genou alors il ronge son genou ». Et mon père répète après elle, en desserrant à peine la mâchoire : « Je ronge mon genou ».

Tout ce rêve semble tourner autour de ma peur de grandir : l’anniversaire, moi qui me réfugie dans ma chambre d’enfant et mon père qui vieillit. Récemment j’ai fait plusieurs rêves où je vois mon père mourir. J’ai peur d’être confronté aux responsabilités de l’âge adulte et j’ai peur que mon père parte sans que nous ayons pu faire connaissance. Mon père a toujours couru et il n’a pas arrêté alors que son genou le fait souffrir et que cela l’abîme encore plus. Quand j’étais petit, la course à pied était une des seules occasions que j’avais pour passer du temps avec lui. Il ne me réveillait pour aller courir que lorsque je le lui demandais mais je n’arrivais quand même pas toujours à me lever. Je m’en voulais, je me trouvais nul et je ne comprenais pas pourquoi je n’arrivais pas à me lever alors que je voulais l’accompagner. J’avais toujours envie d’y aller mais au moment de partir, je ne trouvais pas la force. J’étais persuadé que j’aimais courir avec lui mais en vérité je n’aimais pas ça. Quand on fait quelque chose de pénible, on a tendance à croire que c’est utile, et quand on traverse une épreuve avec quelqu’un, on a l’impression que cela crée des liens très forts mais ça n’a pas marché pour nous. Pendant que je courrais avec lui, je le regardais et il me souriait. J’avais l’impression que nous étions proches mais nous ne pensions pas à la même chose. Il y avait un fossé entre nous que le silence permettait à mon imagination de combler. Il devait juste se réjouir d’avoir un fils sportif qui l’accompagne courir mais moi je n’aimais pas ça et je rêvais à des prolongations qui ne venaient jamais et je n’ai jamais vraiment arrêté d’espérer. Nous courrions côte à côte mais nous étions dans des rêves étanches. Les fêtes me font la même impression. Elles nous font croire que nous sommes ensemble mais quand il n’y a pas de lumière ou que l’éclairage aveugle plus qu’il n’éclaire, qu’il y a de la musique et qu’on a bu, on ne voit pas ceux qui nous entourent, on ne voit que ce qu’on veut voir. Ce sont les moments où je me sens le plus seul. Je ne reconnais pas mes amis, j’ai l’impression que les gens ne me voient plus ou qu’ils voient autre chose et qu’ils essaient de m’embarquer dans des délires où je ne veux pas aller. A moins qu’ils ne me prennent juste pour ce à quoi j’essaie d’avoir l’air. Dans ces jeux de miroirs déformants, on ne sait vite plus où on en est, tout parait possible mais à la fin, on est toujours déçu.

J’ai fait beaucoup de choses pour plaire mais je me sens toujours aussi seul. Je suis entouré de gens qui m’aiment et qui sont là pour moi mais leurs cadeaux ne font que me montrer qu’ils ne me connaissent pas. Ils veulent m’aider mais ils n’y arrivent pas, ils essaient de régler des problèmes que je n’ai pas et quand je parle de ce qui me préoccupe, on ne m’écoute pas, on me dit que ce n’est pas grave ou que ça n’existe pas. Je n’ai pas besoin d’amis pour m’aider ou pour m’offrir des cadeaux, ma famille en fait déjà trop et ça ne me rassure pas de dépendre de gens que je ne connais pas et dont je ne comprends pas les motivations. J’aimerais que mes proches me connaissent assez bien pour savoir que si je refuse de les accompagner ou je ne fais pas ce qu’ils attendent, ça ne veut pas dire que je ne les aime pas ou qu’il y a des raisons de s’inquiéter. Quand je fais quelque chose que je n’aime pas pour être avec quelqu’un, pour lui faire plaisir ou pour ne pas lui faire de la peine, je n’arrive pas à faire la part des choses. Je me persuade toujours que c’est bon pour moi et que j’aime ce que je fais. Je finis par me sentir mal et je ne comprends pas pourquoi. En essayant de me rapprocher des autres, je me suis perdu et je ne sais plus qui je suis. Il me faudra du temps pour me retrouver mais j’ai confiance en l’avenir. C’est perturbant de réaliser qu’on n’aime pas des choses qu’on a toujours faites et qu’on pensait aimées mais une fois qu’on a compris qu’on pouvait s’en passer, on se sent plus léger.

Mathias


bisous

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